Le virtuose aux "doigts torturés"

Le virtuoses aux "doigts torturés"

Métro Guy ConcordiaMinuit quinze.

 

 Quand l'envie de jouer au piano est plus forte que la raison. De peur d'incommoder ses voisins dans son petit habitat modeste, un pianiste qui adore jouer des airs de Chopin s'en va jouer dans ce métro pour la résonance que son instrument va porter, en quêtant au passage quelques pièces de monnaie pour arrondir des fins de mois difficiles. Alors des notes de musique s'enchaînent et jouent au fil de ses doigts atypiques qui glissent au fur et à mesure sur son clavier afin qu'une douce mélodie attire notre ouïe vers ce personnage qui joue dans une indifférence presque totale. Un portrait d'un usager se dessinait devant mes yeux en un musicien.

Jacques est un pianiste qui a commencé à jouer du piano à l'âge de vingt-trois ans. Ce virtuose est originaire de Saint-Georges de la Beauce. Il est parti étudier le piano à Trois-rivières. Deux auriculaires de tailles différentes dites petits doigts, le rend particulier. Cela ne l'a pas empêché de pratiquer son art qui le fascine. Au fil du temps des années qui passent, Montréal l'appelle pour étudier en Sémiologie. Ce futur professeur a eu une peine de coeur qui l'a brisé, puis ruiné psychologiquement et physiquement par ses grosses dettes dues à ses études sur le tard. Ce qui l'a amené un jour à se produire dans le métro. 

Voilà maintenant vingt ans que Jacques joue de toute son âme pour l'amour de la musique ; Le classique. Comme tout artiste, Jacques passe des auditions, dites les étoiles du métro. Une centaine de musiciens auditionnent sur le volet. Une première déception pour ce musicien qui est venu assombrir son rêve puis torturer cet artiste. Il a fini par auditionner pour jouer au métro Place des arts. Une station convoitée par plusieurs artistes précaires. Ce lieu est magique pour lui. C'est la reconnaissance ultime, mais elle s'est terminée comme la pire des expériences de sa vie de musicien. Il avait joué un classique, une fugue à quatre voix pour réussir son audition qui avait pour raison d'impressionner le jury pour ainsi montrer qu'il avait de la technique et le talent pour être un de ces privilégiés qui auraient la chance de se produire dans cette bouche de métro. Qu'elle ne fût pas sa déception. Sa note l'avait indigné, lui qui avait tant travaillé, de façon quasi acharné pour cette audition de trois minutes. Puisqu'il a décidé de ne pas se laisser abattre et de prendre cet échec comme un tremplin, c'est ce qui lui a permis de scellé son sort sous la forme d'une revanche. Comme il le dit "La loi trop peu, trop tard". Il aime pratiquer son art et même dans l'indifférence d'être autorisé ou non par les instances du métro. L'amour de se produire est plus fort que tout. La musique l'apaise et lui donne la force pour surmonter ce traumatisme qu'il a vécu à l'âge de dix ans. Un Viol, qui l'a tué de l'intérieur à tout jamais. Aujourd'hui cette adulte sage soigne son âme en s'évadant au gré des notes de musique, qui le calme et le rend plus fort pour affronter la solitude. Ce réflexe le protège des aléas de la vie qui l'ont rendu une pointe déconnecté de la réalité, ainsi la pratique de son art le rend vivant et le piano l'occupera jusqu'à la fin de sa vie, car la profondeur de cet art l'enfonce malgré lui dans un mutisme et une solitude.

 Ce réflexe le protège des aléas de la vie qui l'ont rendu une pointe déconnecté de la réalité, ainsi la pratique de son art le rend vivant et le piano l'occupera jusqu'à la fin de sa vie, car la profondeur de cet art l'enfonce malgré lui dans un mutisme et  dans une solitude. Celui de connaître et de pratiquer jusqu'à l'excellence qui l'isole d'une vie sociale qui le rend indifférent aux autres. Ses trois frères meurent les un après les autres. Il remonte dans son passé, une enfance modeste et campagnarde. Il me raconte qu'il était, le petit préféré de son grand-père qui lui a donné beaucoup d'affection. Sa fratrie nombreuse le jalousait, car que ce grand-père était fasciné par son petit-fils, de part pour son intelligence hors norme que ce dernier possédait. Jacques est surdoué. Il le sait. Cet autodidacte joue du piano avec des partitions de musique qu'il déchiffre avec une telle facilitée que cela en es déconcertant. Un seul sacrifice pour l'amour de son art se termine en un seul regret ; sa passion ne lui a pas donné un enfant et donc l'occasion pour lui d'être père. Il reste néanmoins au détour de ses confidences un homme pudique et nos échanges sont ponctués par des rires et tantôt par des larmes. Je suis fascinée par le récit de ses souvenirs qu'il me confie au détour de mélodie tantôt drôles, tantôt triste. Un drame l'habite toujours autant.

À l'âge de dix ans, ce viol qu'il a subi le change à tout jamais. Puis un jour il découvre des virtuoses comme Mozart et Chopin. Ses Virtuoses trouvent  grâce à ses yeux et lui donne envie d'apprendre le piano à la vingtaine passée. Personne ne peut égaler Mozart et même pas le Cat Steven de son adolescence. Il aime jouer dans le métro même si pendant les heures tardives, il se fait souvent chahuter par des jeunes qui touchent à son instrument de musique et  qui l'intimide par la même occasion. Mais il y'a toujours une âme charitable qui vient à son secours. Souvent ce sont des femmes au fort tempérament qui chassent ses "troubleurs" d'une soirée. Il est choyé par son public, toujours par un mot gentil, parfois par un salut ou par des cartes d'affaires posées délicatement sur son piano. Il aime son auditoire et pour rien au monde il changera sa façon de vivre. Il se place donc deux fois par semaine vers son piano qu'il pratique sans cesse car c'est la seule chose lui permet de se lever chaque matin, même si l'insomnie le plombe et le fatigue. Il occupe ses nuits en lisant quand il n'arrive pas dormir. Son esprit le torture toujours autant et le ramène toujours vers cette agression. La seule façon pour lui est de s'appaiser lui- même, ce sont par ses doux sons de son piano ou par un roman qu'il dévore pour ne pas sombrer dans les souvenirs de son viol qui a été terrible par la cruauté du geste de son agresseur. 

Il a réussi à survivre, mais il sera à jamais hanter par ce terrible souvenir. Pourtant au fil des années, Jacques a pardonné à son agresseur qui est décédé depuis bien longtemps. Il a essayé de comprendre son geste mais rien n'y fait. Il vit pour survivre c'est comme cela. Il accepte son destin et il compose sa vie à sa façon en cherchant les ressources dont il a besoin à travers Chopin, Mozart et Beethoven. Ce qui lui permet d'exprimer ses émotions qui l'a besoin de sortir sans paroles juste aux sons de son piano. Il me dit qu'à son époque, dans sa région reculé "On ne pouvait pas soigner mon traumatisme avec de la psychologie. On n'avait pas ces ressources, on devait faire avec. La musique sera ma thérapie jusqu'à ma mort."

On dit que"La musique chasse la haine chez ceux qui sont sans amour. Elle donne la paix à ceux qui sont sans repos, elle console ceux qui pleurent " Si je me fis à la citation de Pablo Casals, un violoncelliste qui a imprégné le siècle dernier par ce grand proverbe qui donne le ton à ses grands talents qui bercent notre culture musicale. Et puis que dire de la citation de Platon qui dit que " La musique donne une âme à nos coeurs et des ailes à la pensée". Je crois que la musique est une forme de thérapie qui soigne les maux de l'âme abîmée par un évènement traumatisant. Le destin occasionne des situations injustes et traumatisantes par une autre âme cruelle qui ne permet pas, à l'autre de fonctionner dans un schéma de vie classique. Un traumatisme douloureux qui a conduit Jacques vers un autre chemin, comme celui d'embellir nos métros. Les doux sons de son talent, sans chercher forcément à briller dans son art, mais seulement pour profiter de l'espace que son appartement ne peut pas offrir pour laisser sortir les notes de son piano dont il consacre une partie de sa vie pour échapper aux souvenirs de son traumatisme qui le hante toujours autant.